lundi 24 février 2014

Appel à manifester

Plus jamais ça ! Plus jamais d’enfants expulsés !

APPEL À MANIFESTER
SAMEDI 1ER MARS à 15h 
Place de la Mairie à RENNES

Le 18 février, sur ordre de la Préfecture de Rennes, on a connu l’inacceptable : la gendarmerie est allée chercher au petit matin une famille de 5 enfants dont un bébé de 10 mois. Une première en Ille et Vilaine !

Destination pour cette famille déboutée du Droit d’asile, dont le dernier recours n’était pas encore jugé ? l’aéroport de St Jacques de la Lande et un avion affrété spécialement pour les conduire à Roissy où ils devaient embarquer dans un autre avion. Destination finale pour cette famille ? Moscou où nul ne savait ce qui les attendait. Mais, Jeux olympiques aidant, on veut sans doute croire que la Russie de Poutine est la patrie des Droits de l’Homme.

Et si l’on parlait un peu des Droits de l’enfant en France ?
Ces enfants qui vivent en France, depuis plus de 6 ans… qui vont à l’école ou au collège… Le dernier est né en France…
Que dit la Convention des Droits de l’Enfant que la France a ratifiée ?
Article 2-1. Les Etats parties s’engagent à respecter les droits qui sont énoncés dans la présente Convention et à les garantir à tout enfant.
Article 3-1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale.
On y trouve aussi le droit inaliénable à l’éducation pour tous les enfants. Et on en affiche une version simplifiée dans toutes les écoles.

Peut-on dire que la Préfecture d‘Ille et Vilaine a respecté l’article 3, comme la France s’y est engagée ? Et le traumatisme de cet arrachement, l’interruption de leur scolarité, est-ce l’intérêt supérieur de ces enfants ?

On avait déjà connu en France dans les années 2000 de tels actes. La condamnation des associations et des citoyens avait obligé le pouvoir d’alors à y renoncer.
On se souvient que de telles pratiques avaient été condamnées par des élu-e-s. Des engagements avaient été pris qu’elles ne se reproduiraient plus, par ceux-là même qui les ordonnent ou les cautionnent aujourd’hui.

La mobilisation des associations a permis cette fois-ci encore que ce mauvais coup n’aboutisse pas. Cette famille est libre, mais pour combien de temps ?

Et combien d’autres sont promises au même sort ? Déjà, le 22 janvier, une famille avec deux enfants de 10 et 11 ans, assignée à résidence à Dinan (22), avait été expulsée par avion privé au départ de l'aéroport de Rennes Saint-Jacques vers la Belgique.

Les organisations signataires, associations, partis, vous appellent à venir dire haut et fort

PLUS JAMAIS D’ENFANTS RAFLÉS AU PETIT MATIN ET EXPULSÉS !

HONTE À CEUX QUI ORDONNENT DE TELS ACTES !

Organisations signataires de l’appel :
MRAP Ille et Vilaine, RESF 35, Ensemble, CADTM, PCF, LDH Rennes, AFPS, Conseil des migrants, PG 35, Un Toit c’est un droit.

mardi 11 février 2014

Bulletin janvier-février 2014


Bulletin de la section de Rennes
de la Ligue des Droits de l’Homme
 

janvier-février 2014


La prochaine réunion mensuelle aura
lieu le mardi 11 février 2014 de 18 h à 19h30, 

dans les locaux de la FAL,
45 rue du capitaine Maignan, à Rennes.

Elle sera précédée d’une réunion du
bureau, à 17h 30. Tous les ligueurs y sont
cordialement invités.

Ordre du jour de la prochaine réunion : 

· Les actions en cours
· Bilan financier et adhésions
· Les projets de la section
· Interpellation des candidats aux élections municipales
· Questions d’actualité


Au sommaire de cette édition :
· Trois textes lus à la journée d'hommage à Victor et Ilona Basch, p. 2
· Texte de la conférence d'André Hélard dressant le portrait de Victor Basch en militant, p. 6
· A propos du centenaire de la première guerre mondiale, p. 10
· Communiqué « Plus jamais seul » sur la vidéo-surveillance, p. 12
· Communiqué « tirer les leçons de l’histoire », p. 14.
· Jour de colère, nuit pour tous, analyse de Jean Birnbaum, p. 16
· La Boutique, p. 17



La journée d’hommage à Victor et Ilona Basch fut un beau et fort moment de réflexion sur l’engagement militant en faveur de la défense des Droits de l’Homme hier et aujourd’hui. La présence de Madame Françoise Basch, présidente de cette journée nous a honorés. La qualité des propos de nos conférenciers, l’accueil chaleureux du lycée Basch et la présence des élèves ont évidemment contribué au succès de cet évènement.
Nous avons souhaité publier les textes des conférences ainsi que les textes lus au cours de la journée. Ils seront répartis dans plusieurs éditions de notre bulletin. En attendant, il est possible de visionner les vidéos de la journée sur notre blog. http://ldhrennes.blogspot.fr/2014/01/journee-victor-et-ilona-basch.html
Les propos de Victor Basch sonnent et résonnent encore au fil de l’actualité de ces dernières semaines : propos racistes, antisémites, xénophobie, rumeurs...
Autant de Bastilles à combattre.

Annie Clénet





Textes de Victor Basch, lus le 10 janvier 2014 lors de la journée d'hommage au lycée Victor et Hélène Basch


Cette journée fut ponctuée de textes lus par les élèves du lycée. Merci à Amélie, Maëlle, Éloïse, Louise, Léa, Marie, Rafaël, Cécile, Annaig, Solène, Elixène et Agathe pour leur belle implication. Un grand merci également aux violoncellistes qui nous ont tant émus.



« Naissance d’un engagement », par Victor Basch
Texte lu par Amélie et Maëlle



Au Congrès d’Amiens, en 1933, Basch évoque la façon dont l’affaire Dreyfus a déterminé son engagement (Cahiers des Droits de l’Homme, 20 septembre 1933).

Passant à Paris en octobre 1897, j’entendis, pour la première fois, affirmer que le capitaine Dreyfus, que je ne connaissais et dont j’avais suivi le procès sans aucune passion, avait été condamné injustement et illégalement. Je venais à ce moment de soutenir mes thèses, j’avais quelques loisirs, et je les consacrai à étudier l’Affaire, comme l’étudièrent, à ce moment, tant d’intellectuels, en toute objectivité scientifique. Et, au bout de mon étude, j’avais acquis la conviction qu’Alfred Dreyfus était innocent.
Il se produisit alors en moi un phénomène étrange. Moi qui, jusqu’alors, n’avais, à proprement parler, éprouvé aucun sentiment social, qui n’avais vécu que pour moi-même, pour mon enrichissement intérieur, pour ma science, pour mon enseignement; pour mes livres et pour ma famille, je me sentis transformé. A me dire que, là-bas, agonisait dans les fers, sous la « double boucle », un innocent, j’ai senti comme une brûlure qui me dévorait tout entier. Il me devenait impossible de me livrer à mes occupations habituelles. La science, la poésie, l’art, certes ! Mais l’innocent qui, dans son île maudite, semourait dans la honte et le désespoir !
Comment vivre avec la conscience de cette monstrueuse iniquité ? N’était-ce pas en être complice que de ne pas consacrer ce que j’avais en moi d’énergie, d’intelligence, de force de propagande, au sauvetage de l’homme de la douleur ? Et n’avais-je pas le devoir de sacrifier à cette tâche tout ce qui m’était cher, ma tranquillité, celle des miens, ma situation
et jusqu’à ma vie même ?


« Le portail de la demeure du professeur Basch. Au coeur de la tempête déchaînée par le Groupe Antisémite rennais, le professeur Basch, sur le pas de sa porte, lit une lettre de menaces. »
(Photographie publiée en août 1899 dans le journal anglais Black and White)

C’est ainsi qu’à partir de 1898, je vécus comme une vie nouvelle. Je fondai avec quelques amis la Section rennaise de la Ligue des Droits de l'Homme. Je fus avant, pendant et après le procès de Rennes, en butte à des attaques, à des outrages, à des menaces et des voies de fait qui me sont un titre de fierté.
J’adhérai, sous l’influence de Jaurès que ma maison eut la joie d’abriter pendant les tragiques semaines du procès, au parti socialiste. Je fis de mon existence deux parts : l’une consacrée à ma fonction et à mes travaux et l’autre à la propagande.
J’ai parcouru de part en part la Bretagne et j’ai aidé à planter, avec des camarades
dont beaucoup ne sont plus, sur cette terre dure l’arbre de la démocratie. J’étais en proie à une justicite aiguë (sourires) qui est la caractéristique du ligueur ; à la manie de ne pouvoir supporter que, quelque part dans le monde, il y eût des hommes, à quelque nation, à quelque race, à quelque religion qu’ils appartinssent, qui étaient victimes d’actes illégaux et arbitraires, que, dans un point quelconque du globe, il y eût des peuples victimes de l’oppression.

 

« Moi Juif, moi Hongrois… », par Victor Basch
Texte lu par Éloïse et Louise





Après le banquet du 14 juillet 1899, Pocquet, rédacteur en chef du Journal de Rennes s’en est pris violemment à Basch : « Nous n’admettons pas, a-t-il écrit, qu’un Hongrois se lance dans des querelles politiques qui ne regardent que nous autres Français de France. » Basch lui répond ici dans L’Avenir de Rennes des 27-28 juillet 1899, dans un long article qu’il dit avoir « improvisé en une heure ». M. Pocquet m’accuse d’être […] le chef du parti républicain révisionniste, mais surtout d’être juif et Hongrois ! Je vais lui répondre sur chacun de ces deux points. […] Je ne suis pas le chef du parti républicain révisionniste, pour la bonne raison que ce parti n’existe pas. Nous avons été en janvier 1898 sept hommes doués de quelque clairvoyance et de quelque courage à réclamer la révision d’un jugement entaché d’illégalité. Nous sommes restés longtemps complètement isolés et en butte aux injures que l’on sait. Depuis le faux Henry, notre nombre n’a cessé de s’accroître et il comprendra bientôt tous ceux qui ne se refusent pas à l’évidence. […] Pour moi, j’ai signé toutes les protestations, j’ai essayé de convaincre individuellement un certain nombre de nos amis, et j’ai, dans les réunions organisées par la Ligue des Droits de l’Homme et du Citoyen, pris plusieurs fois la parole. Dans tout cela il n’y a pas de chef. Ce sont nos adversaires qui m’ont distingué parmi les promoteurs du mouvement révisionniste rennais et mon piédestal est fait uniquement des pierres qu’ils m’ont lancées.
A quoi est dû maintenant l’honneur de cette distinction ? Oh, je ne me fais là-dessus aucune illusion. J’ai été sacré chef par nos ennemis parce qu’ils me croyaient plus facile à atteindre que mes compagnons de lutte. Je suis en effet né de parents juifs, ce qui est évidemment de nos jours une tare indélébile. Je ne me donnerai pas le ridicule de me défendre de ce chef. Mes opinions religieuses m’appartiennent en propre. Quant à la qualité de juif en tant que race — bien que je ne croie pas au concept de race — je la revendique hautement, surtout depuis que cela ne laisse pas de présenter quelques inconvénients.

Passe encore pour juif, mais « hongrois », « fraîchement naturalisé », « Français d’hier » !

Là encore je n’esquisserai même pas de plaidoyer. J’ai quitté la Hongrie à l’âge de deux ans, et j’y suis revenu à trois reprises, jamais plus longtemps que pour cinq semaines. […] Que si je disais que je ne me suis jamais senti que Français ; que j’ai tâché de remplir tout mon devoir de Français ; qu’à l’instinctive assimilation par la langue, par le milieu, par l’éducation et l’instruction, j’ai ajouté, en pleine conscience, un acte public par lequel j’ai demandé à ce pays de m’adopter en m’engageant à le servir de toute mon intelligence et de toute ma volonté — si je disais cela, ce serait évidemment de la déclamation. Aussi je ne le dis pas. Mais ce que je dis, c’est ceci ! Juif, originaire de la Hongrie, soit ! Vous me reprochez des choses dont je ne suis aucunement responsable. Ce n’est pas moi qui me suis fait naître dans telle ou telle religion, dans telle ou telle race, dans telle ou telle contrée. Mais j’accepte le reproche, quelqu’absurde qu’il me paraisse. Mais en quoi, je vous le

demande, cela infirme-t-il la vérité de ce que j’avance, la bonté de la cause que je défends, l’infaillibilité des raisons sur lesquelles je m’appuie ? Quelque peu autorisée que soit la bouche qui prononce des paroles de justice et de vérité, la justice et la vérité demeurent. Lisez les pièces que nous vous apportons, examinez-les, réfutez-les ! Mais ne croyez pas nous répondre en traitant l’un de nous de juif hongrois.



« Au ban les bourreaux ! », par Victor Basch
Texte lu par Marie, Rafaël et Cécile



Ce texte d’une lucidité prophétique (dont nous ne publions ici qu’une partie) a été publié dans les Cahiers des droits de l’homme, le 10 avril 1933,
soit moins de deux mois après l’arrivée des nazis au pouvoir.

Bien candides furent ceux qui imaginèrent que, leur triomphe une fois remporté, les nazis seraient assez maîtres d’eux-mêmes pour ne pas en abuser.
Pour les bandes hitlériennes, la victoire signifiait places, argent et représailles. Représailles contre ceux qui, depuis que le Führer avait commencé sa propagande, tentèrent d’y faire obstacle. Représailles contre les démocrates timides, contre les bureaucratiques socialistes, contre les héroïques pacifistes, contre les équivoques communistes et surtout contre cette minorité qui, victime impuissante de préjugés séculaires, plus profondément enracinés dans l’âme germanique que dans toute autre, et de féroces jalousies économiques, fut, de tout temps, le bouc émissaire de tout ébranlement social, contre les Juifs, peuple élu de l’éternelle douleur. Ce fut, c’est, en Allemagne, une explosion de bestialité et, en même temps, d’hypocrisie, dont on aurait cru
incapable une nation, à tant d’égards hautement civilisée, et dont tous les hommes en qui n’est pas éteinte toute étincelle d’humanité, demeurent inconsolables.
On a beau se représenter la tragédie que, depuis 1914, a vécue l’Allemagne ; beau se dire qu’après les terribles années de guerre, après la famine, après la cuisante humiliation de la défaite, après un traité draconien, imposé par la force, après les ruines de l’inflation, après l’occupation de la Ruhr, après la crise, réduisant des millions d’êtres au chômage et aux pires privations, il était impossible que l’âme allemande ne fût pas désaxée, ensauvagée, profondément intoxiquée ; beau alléguer que les ex-vainqueurs auraient dû prévoir cette réaction, tendre à la grande malade une main secourable ; on a beau essayer d’être juste, impartial, de se mettre à la place des Allemands, de s’infuser pour un instant, dans leur sensibilité et leur mentalité, on ne peut pas, devant le spectacle que nous offrez l’Allemagne d’aujourd’hui, ne pas éprouver un sentiment de répulsion, de révolte et d’horreur. […] La vérité est que les récits les plus terrifiants donnés par les journaux sont au-dessous de la réalité. A lire les lettres qui circulent en Tchécoslovaquie et en Autriche et dont la Ligue des droits de l’homme a eu connaissance, à entendre les confidences de témoins irrécusables et de victimes qui, par miracle, ont pu échapper à leurs bourreaux, on se convainc que, depuis les grandes persécutions du Moyen-Âge, que depuis la folie dévastatrice de la Guerre de Trente Ans, l’Histoire n’eut pas la honte d’enregistrer des excès pareils. […] Et ne savons-nous pas que, dans les corps de garde des troupes d’assaut et dans les camps de concentration, notamment celui de Dachau, commandé par le garde-chiourme Von Epp, rival militaire du boucher Goering, se sont passées et se passent des choses qu’une plume respectueuse d’elle-même se refuse à
rapporter ? […] L’Europe, le monde, vont-ils assister à cela sans essayer d’arrêter le fléau ?


Des propos encore d’actualité
Par André Hélard



Comment devant cet implacable tableau de la réalité du nazisme, et cette impeccable analyse de toutes les frustrations qui ont contribué à le porter au pouvoir, ne pas penser à un certain climat d’aujourd’hui, et à ce qui le nourrit ?
Comment, dans ce climat, ne pas faire sienne la réflexion inspirée à Jaurès par les pires expressions d’antisémitisme auquel donna lieu l’affaire Dreyfus : « Il me semble que je suis au bord d’une mare peuplée d’êtres bizarres et difformes qui jamais n’étaient montés au jour. Et tout à coup une lourde pierre tombant au fond de l’eau trouble fait monter par milliers des êtres inconnus, des formes étranges de sottise et de scélératesse, des têtards ridicules et mauvais, gonflés de bêtise et de venin » ?
Comment enfin ne pas se rappeler la terrible phrase de Bertolt Brecht, dans l’épilogue de La résistible ascension d’Arturo Ui: « Vous, apprenez à voir, au lieu de rester les yeux ronds. Car le ventre est encore fécond d’où est sortie la bête immonde » ?



A Rennes au temps de l’affaire Dreyfus
Portrait de Victor Basch en militant, par André Hélard



Puisque cette journée d’hommage doit être aussi l’occasion de réfléchir sur le militantisme, à partir de son exemple, ce que je voudrais tenter d’esquisser ici, c’est un portrait de Victor Basch en homme engagé.

Mais d’abord, en quelques mots, qui est ce Victor Basch qui découvre alors l’affaire Dreyfus, comme il l’a si bien raconté au Congrès d’Amiens en 1933? Né à Budapest en 1863 (en 1897-98 il a donc 34-35 ans), et d’origine juive, il a émigré en France avec ses parents à l’âge de 2 ans et demi (c’est donc un de ces « étrangers qui ont fait la France » que nous présente si bien le récent
Dictionnaire dirigé par Pascal Ory2). Après de brillantes études, il a passé l’agrégation d’allemand et une licence de philosophie, et a été nommé en 1889 chargé de cours (de littérature étrangère) à la Faculté des lettres de Rennes. C’est donc là que je le retrouve au temps de l’affaire Dreyfus.
Dans un texte de 19383, il évoque ainsi les débuts de son engagement : « avec quelques collègues4, nous résolûmes de suivre de près l’Affaire et d’étudier tous les documents avec le sévère scrupule que nous apportions à nos recherches scientifiques. Nous acquîmes la conviction que Dreyfus était innocent. » En ce moment premier, c’est d’abord le courage intellectuel de Basch qui me frappe. Il s’agit ici de penser à contrecourant, ce qui n’est jamais évident.
Devenir dreyfusard en 1897-98, c’est en effet penser à contre-courant de tout ce que proclament le pouvoir politique et les chefs de l’Armée. A savoir que l’honneur de l’Armée, donc la sécurité de la France, interdiraient de supposer que le jugement du Conseil de guerre de 1894, par lequel le capitaine Dreyfus a été condamné au bagne à perpétuité pour trahison au bénéfice de l’Allemagne pourrait être à la fois illégal et totalement inique. A contre-courant aussi de ce que répète à satiété la presse rennaise, nationaliste et antisémite, et qui va de Dreyfus est forcément coupable, puisque juif à même s’il n’est pas vraiment coupable, ce n’est qu’un juif, après tout ! Ceux qui veulent penser autrement, les dreyfusards, ne seraient que de mauvais français, vendus au « cosmopolitisme judéo-maçonnique ». Être dreyfusard, c’est donc d’abord une attitude intellectuelle, qui consiste à opposer à la raison d’État, comme à tous les dogmes qui interdisent la discussion au nom d’une autorité supérieure, la rigueur d’un raisonnement appuyé sur le sens critique. Ce que l’on appelle à l’époque, d’une belle expression, « l’esprit d’examen ».
Et voici le deuxième temps, et c’est d’un autre courage qu’il va être question : Une fois acquise la conviction que Dreyfus était innocent, « nous nous sommes, écrit Basch, lancés à corps perdus dans la bataille. » ll s’agit maintenant de convertir ce qui n’était encore qu’intime en un geste publicFranchir le pas qui mène de la pensée à l’action, avec les risques que cela suppose.
S’engager, ici, c’est d’abord signer une pétition, le premier geste public, bien souvent encore aujourd’hui, de tout engagement. En janvier 1898, après le scandaleux acquittement du vrai coupable, Esterhazy, Zola a donné le signal du refus par son fameux J’Accuse.
Dans les jours qui suivent, ils sont des centaines, universitaires, savants, écrivains, artistes, à lui emboîter le pas en signant, dans L’Aurore ou dans Le Siècle, ce qu’on appela alors les « protestations » dont les signataires demandaient la révision du procès de Dreyfus, et que l’on appelle plus souvent aujourd’hui la pétition des intellectuels.
Mais signer cela à Paris (comme le firent Anatole France, Proust, ou Monet) est une chose, la signer dans une ville de province, comme Rennes, en est une autre. C’est affronter les préjugés de l’écrasante majorité des habitants de la ville, où l’antisémitisme (dans une ville où il y en tout et pour tout onze familles juives…) s’exprime quotidiennement dans la presse locale avec parfois une extrême violence : « Il faut, selon tel journal, restituer la France aux Français, mettre les Français à l’aise chez eux », ou, selon tel autre, « rendre à la patrie sa vitalité en éliminant sans pitié ses éléments de mort ». C’est-à-dire éliminer « le cosmopolitisme et les habitants des ghettos » ou « éconduire cette plaie grouillante de sauterelles juives qui nous sucent jusqu’aux moelles »… Autant dire que cette fois, c’est de courage moral et physique qu’il faut faire preuve ! Que l’on en juge : vont s’ensuivre cinq jours de manifestations5, de plus en plus violentes, dont Basch est, en tant que juif, la principale cible. Son nom est conspué dans les rues, des étudiants demandent au Recteur son déplacement ou sa démission. La presse rennais va de l’allusion fielleuse — « comment des étrangers arrivent-ils si facilement à forcer les portes de l’Université quand tant de bons Français n’y arrivent pas? » — à la pire violence verbale : « Le citoyen Basch veut-il contraindre les Rennais à aller l’enfumer dans sa tanière ?» Comment s’étonner que « de bons Français », l’esprit échauffé par cette prose, passent un jour à l’acte, comme le raconte la journaliste Séverine:

Dans la matinée, un groupe, sous ses fenêtres, était déjà venu l’avertir :

- Tu n’iras pas faire ton cours ! A bas Basch ! A bas Basch !
A la croisée, l’interpellé se pencha :
- D’abord, je vous défends de me tutoyer ! Ensuite, changez donc votre cri ; vous avez l’air de gâteux ! Criez Basch à l’eau ! c’est bien plus euphonique. Quant à mon cours, nous verrons çà !

Des étudiants s’en furent devant le Palais des Facultésbarrer la route au maître s’en allant faire son cours. Basch ne dut qu’à l’intervention de deux de ses collègues de ne pas être jeté dans la Vilaine, puis il s’engagea sous les cannes levées, parmi les clameurs d’ « A mort les Juifs ! » Il fut sauvegardé par le prestige du courage ; entra, fit son cours, ressortit par la grande porte, et regagna à pied sa maison, dans le lointain faubourg.
Autant dire que l’intimidation n’a pas d’effet sur Victor Basch« Coups de langue ou coups de pierres » écrit-il, « que valent pour des hommes de conscience des considérations de cet ordre à côté du désir de proclamer la vérité ? et il conclut tranquillement : « je me prépare à la lutte ».
Mais cela ne suffit pas encore. « Nous étions sept contre soixante-dix mille » dira-t-il plus tard. C’est héroïque, certes, mais on ne défend pas une cause tout seul, ni à sept. Il faut donc examiner la situation, en quelque sorte la problématiser : Ce n’était pas les sept intellectuels que nous étions qui pouvaient affronter les haines contre nous conjurées de toute une ville … » « sur qui appuyer notre action ? » « comment recruter ? »
L’engagement est aussi une affaire d’intelligence politique et d’énergie. Pour espérer agir sur les événements, il faut élargir le minuscule noyau dreyfusard initial. Et cela est compliqué.
Et pourtant… le 22 janvier 1899, est fondée, chez Basch (tout un symbole !) la section de Rennes de la LDH, une des premières en France. Et parmi les 21 membres fondateurs, il y a, à côté de Basch, de ses six collègues et de deux de leurs étudiants, des protestants, des francs-maçons, quelques fonctionnaires républicains très modérés, refusant tous les excès de l’antidreyfusisme, et des ouvriers. Et cette section va s’étoffer au fil des mois, si bien que lorsque le 3 juin, quand Dreyfus est renvoyé devant le Conseil de guerre de Rennes, Basch peut dire : nous sommes prêts.


Supplément littéraire illustré « L'affaire Dreyfus à Rennes »

Il serait trop long de raconter en détail comment s’est constitué cette sorte de petit Front populaire avant la lettre et à l’échelle rennaise. Il fallut, selon les mots de Basch, faire « de la propagande » afin que « la lumière pénètre les esprits », nous dirions aujourd’hui de la pédagogie, et cela prit la forme d’une dizaine de conférences (sur invitation) à la Bourse du Travail. Drôle d’aventure pour ces professeurs d’université (dont la plupart, selon le mot de Basch « n’avaient jamais vu de près un ouvrier »). C’est encore lui qui ouvrit le feu10, et l’on nous dit que son « verbe éclatant » fut pour beaucoup dans le succès de l’entreprise, où chaque conférence fut l’occasion d’engranger de nouvelles adhésions.
Même encore très minoritaires, les ligueurs rennais peuvent désormais s’appuyer sur « la force des ouvriers » pour être à leur tour « maîtres de la rue » : « les étudiants nationalistes qui venaient presque tous les soirs faire des manifestations devant mes fenêtres trouvèrent à qui parler. » Comprenons qu’il se firent copieusement « rosser » …
Et, chose totalement impensable au début de cette histoire, le 14 juillet 1899, la section peut organiser, à l’auberge des Trois Marches, un banquet dit républicain démocratique, en réalité carrément dreyfusard, dont le succès dépasse les espérances de ses promoteurs : « J’avais compté sur 150 personnes, et voilà que nous sommes 260 ». Des toasts sont portés, des discours prononcés, et le dernier, le plus marquant est encore celui
de Basch. Quatorze juillet et défense de la République obligent, il semble ne parler que de l’éternel retour de l’idéal républicain, symbolisé par la prise de la Bastille le 14 juillet 1789, sans cesse réprimé et sans cesse renaissant. Mais au fur et à mesure qu’il évoque 1830, 1848 ou 1871, où toujours une « poignée d’hommes, journalistes, savants, se lève » pour « dénoncer l’injustice », pour « parler au peuple » et pour vaincre les forces de la Réaction, ses auditeurs comprennent bien, même si l’Affaire n’est évoquée que par allusion, qu’ils sont en tant que dreyfusards la dernière réincarnation de cette « poignée d’hommes » porteurs des valeurs de la République.
Trois semaines après ce mémorable 14 juillet, commençait le procès Dreyfus.
Les lettres de Basch à son épouse Ilona11 nous font connaître, pour ainsi dire de l’intérieur, et à chaud, la façon dont il vit ces moments intenses. Et c’est encore de son rapport au militantisme qu’il est ici question.
Les servitudes d’abord, et les petits côtés, qu’il n’est pas inutile d’évoquer ici, pour signifier que la vie de Basch ne fut pas faite que des moments « héroïques » qu’il se plaît à évoquer. Il lui faut faire face à des problèmes qui sont ceux de toute section de la Ligue engagée dans une action sortant un peu de son ordinaire : recevoir les brochures dreyfusardes, les distribuer, rencontrer de nombreux journalistes, accueillir tel envoyé de Paris, venu se rendre compte, pour la Ligue, de ce qu’est Rennes, penser à l’hébergement
des Parisiens qui vont venir pour le procès. « Je suis toute la journée accablé de lettres et de télégrammes me demandant des logements et je cours pour en chercher », écrit Basch. Pendant tout cela il a toujours son activité professionnelle, à savoir 150 copies de
« bachot. » à corriger, et l’on comprend qu’il parle de « journées folles », où il est « pris, archi-pris », qu’il passe « non à marcher mais à courir dans les rues » et se dise « éreinté». Pas étonnant que le 14 juillet, au moment de prononcer son discours il se dise « très fatigué, et migrainé » ! Bref, Victor Basch était un homme, et un militant comme les autres… Pourtant rien de tout cela ne le détourne de son engagement. Au contraire, c’est
avec enthousiasme, exaltation, et finalement bonheur et joie qu’il découvre une vie nouvelle, celle dont il rêvait peut-être secrètement ? « Ma vie est
décousue, agitée et intéressante » écrit-il à Ilona. « La vie que tu me décris, me semble calme, reposante, un peu ennuyeuse si je la compare à la vie fiévreuse que je mène. » C’est que cette vie a pris une dimension jusqu’alors inconnue de lui : « Je suis arrivé à la
notoriété. Les paroles que je prononce, les articles que j’écris portent. En un mot, je suis aujourd’hui un homme connu. »
Sans parler du plaisir de voir le changement d’attitude des autorités à son égard : quand le Préfet, qui le reçoit à propos de l’organisation du banquet, se confond en amabilités, « je me suis, dit-il, royalement amusé en comparant cette entrevue à celle de l’année dernière ». Ce n’est pas encore tout : aux « journées folles » de l’avant procès succèdent les « journées inoubliables » du temps du procès. L’émotion de voir Dreyfus, bien sûr, à la première apparition duquel il éprouve « le grand frisson » quand il proteste de son innocence, mais aussi Mme Dreyfus qui le reçoit « comme une sorte de parent honoraire ». Et puis Jaurès qui lui a demandé de « descendre » chez lui, et qui le traite « comme un ami et comme un frère ». La maison est pleine de dreyfusards : « il se tient chez moi des conciliabules entre Jaurès, Mathieu, Labori et Lazare ». Aux côtés de ceux qu’il appelle « des hommes admirables qui sont l’honneur de l’humanité », il a le sentiment de vivre au
plus près de l’événement qui est à l’origine de son engagement. Le procès terminé, et mal, puis que Dreyfus est à nouveau condamné, Victor Basch ne reviendra pas à sa vie paisible d’avant. Cette période de sa vie l’a changé pour toujours. A Reinach il écrit en guise de voeux pour 1900 : « Puisse l’année qui va naître nous apporter non pas la paix morne et déshonorante que tant de nos concitoyens réclament, mais la bonne lutte, les batailles ardentes et généreuses ». Et à Zola : « Beaucoup d’entre ceux que le drame de l’Affaire avait bouleversés sont revenus à leurs lâches quiétudes de savant ou d’artiste.
Mais tant que des êtres qui nous valent mille fois, sont écrasés sans défense, par la meule sociale, nous avons le devoir sacré de lutter, par la parole, par la plume, par toutes les armes dont nous disposons. »
Ce sera un des maîtres mots de la Ligue dans les années suivantes : « Partout où il y a une injustice, il y a une affaire Dreyfus ». Loin d’être finie avec l’Affaire, l’histoire des engagements de Victor Basch ne fait que commencer. Mais il reviendra toujours, par le souvenir, « à Rennes au temps de l’affaire Dreyfus », comme lorsqu’il écrit en 1938 dans les Cahiers des Droits de l’Homme : « Je viens de fouiller dans ma mémoire, et voici
que j’ai vu ressurgir des ombres du passé la plus belle période de ma vie — la plus belle parce que la plus militante et la plus dangereuse. »
Victor Basch est tout entier dans ces derniers mots, et cela ferait une excellente conclusion. J’aimerais cependant que celle-ci nous ramène plus clairement « à Rennes au temps de l’affaire Dreyfus », et précisément en ce 14 juillet 1899, au moment où Basch prononce les derniers mots de son discours :
« Citoyennes, citoyens, Les Bastilles anciennes et les Bastilles nouvelles, sans trêve, sans défaillance, inlassablement, nous les démolirons.
Et nous ne nous arrêterons que jusqu’à ce que nous tombions sur la route, non cependant sans avoir remis le flambeau à nos fils, qui le porteront d’une main aussi ferme et aussi vaillante que nous. Sans doute eux non plus ils ne pénétreront pas dans la terre promise.
L’avenir que nous rêvons est un idéal et comme tout idéal, il est impossible de l’atteindre dans toute sa beauté et dans toute sa plénitude.
Mais nous avons confiance dans l’immortel effort de l’esprit humain, de la volonté humaine, nous avons confiance dans l’avenir meilleur que nous aidons à préparer, et c’est à cet avenir que je lève mon verre. Je bois à tous les destructeurs de Bastilles, je bois à une humanité plus belle, plus juste, plus libre, plus fraternelle. »


Voir ci-dessus : « La naissance d’un engagement ».
Dictionnaire des étrangers qui ont fait la France, Bouquins, 2013.
3 « Les premières sections. Rennes », dans les Cahiers des droits de l’homme, 1938.
Il s’agit de Jules Andrade, professeur de mathématiques, Jules Aubry, professeur de droit, Jacques Cavalier (chimie), Georges Dottin (philologie), Henri Sée (histoire) et Pierre Weiss (physique).
Du 16 au 20 janvier 1898.
Le Journal de Rennes.
Le Patriote Breton.
Vers la Lumière, Stock, 1900.
C’est aujourd’hui le Musée des Beaux-Arts, au bord de la Vilaine.
10 Avec une conférence sur Le Peuple de Michelet.
11 Elle est partie à la mi-juin en Autriche avec les enfants, pour un séjour prévu de longue date.






Centenaire de la première guerre mondiale, par Yves Tréguer


Nous approchons du centième anniversaire du déclenchement de la première guerre mondiale. Toute l’année seront évoqués, à nouveaux frais une guerre qui peut nous paraître lointaine, mais qui n’est pas, dans les mémoires, si loin de nous.

En 2004 le maire de Le Ferré (pays du caporal Lucien Lechat, fusillé pour l’exemple le 17 mars 1915, réhabilité en 1934) rappelait que bien des habitants de sa commune avaient connu la soeur du caporal Lechat, qui, avec l’aide de la LDH, avait lutté pour la réhabilitation de son frère. Dès 1936, Louis Guilloux, dans sa nouvelle « Douze balles montées en breloque » évoquait le cas de François Laurent, de Mellionnec, fusillé pour l’exemple passé du statut de « mort par la France » à celui de « mort pour la France ». Chaque année des associations entretiennent la mémoire de ces soldats. Depuis quelque temps, des débats passionnés opposent des historiens sur une question centrale. Certains, regroupés autour de l’Historial de Péronne, pensent que chez les combattants existait une « culture de guerre » et une acceptation du sacrifice, avec toute l’ambiguïté de ce terme aux résonances religieuses et/ou nationalistes.
D’autres historiens, entre autres André Loez et Nicolas Offenstadt parlent d’une épreuve subie et des « refus de la guerre ». L’heure est venue pour notre pays de réexaminer de façon complète l’ensemble des cas des « fusillés pour l’exemple ». Récemment, le Président de la République a proposé quelques mesures timides, entre autres une place
aux Invalides, l’accès aux dossiers des conseils de guerre numérisés et disponibles…
La commission Prost propose, face à la complexité juridique du dossier, une déclaration solennelle et symbolique de « pardon », mot qui paraît faible, malheureux, voire insultant pour certains cas, tout en reconnaissant qu’« il ne peut y avoir de véritable réhabilitation que judiciaire ». Pour l’année en cours, du travail reste à faire. Il est indispensable de
veiller à ce que soient évoqués le cas des victimes oubliées de ce qu’on appelle, par
une litote, « les exécutions extrajudiciaires », probablement plus nombreuses que celles des condamnés à mort fusillés, et à s’intéresser au sort des volontaires étrangers et des soldats des troupes coloniales et aux exécutions sommaires.





Roger Martin du Gard « Été 1914 », par Yves Tréguer


Au titre de l’« exécution extrajudiciaire » la dernière page de « L’été 1914 » de Roger Martin du Gard (qui valut, en1937, le prix Nobel de
littérature à son auteur) est aussi éclairant que la nouvelle de Louis
Guilloux.
Le contexte : Jacques Thibault, jeune idéaliste révolté, lutte contre la guerre. Le 10 août, il survole le front en avion et jette des tracts pacifistes .L’avion, accidenté prend feu. Jacques, tombé dans les lignes françaises, grièvement brûlé et véhiculé sur un civière, retarde la retraite des troupes. Un gendarme est exaspéré par ce prisonnier embarrassant.

- « Nom de Dieu de nom de Dieu ! » glapit le gendarme.
Maintenant, il est seul : seul avec ce demi-cadavre, versé sur le flanc, les yeux clos... Tout autour, un silence solennel, anormal… Sont pas loin… Fous-y son compte… L’oeil peureux, il glisse la main dans son étui à revolver. Ses cils battent.la peur d’être pris lutte avec la peur de tuer. Il n’a jamais tué, pas même une bête… Sans doute, à ce moment là, si les yeux du blessé s’étaient une fois entr’ouverts, s’il avait fallu que Marjoulat affronte un regard vivant... Mais ce profil blême d’où la vie semble s’être retirée, cette tempe qui s’offre, à plat… Marjoulat ne regarde pas. Il crispe les paupières, les mâchoires, et allonge le bras. Le canon touche quelque chose. Les cheveux ?
L’oreille ? Pour se donner du couragepour se justifier aussi-les dents serrées, il crie :
- « Fumier ! »
Cri et coup sont partis en même temps. Libre ! Le gendarme se redresse, et, sans se retourner, bondit dans le taillis. Les branches lui fouettent la figure ; le bois mort craque sous ses bottes. A travers le fourré, le sillage de la retraite a tracé un chemin, les camarades sont proches…
Sauvé ! Il court. Il fuit le danger, sa solitude, son meurtre… Il retient son souffle pour galoper plus vite ; et, à chaque bond, pour exhaler sa rancune et sa peur, il répète, sans desserrer les dents :
- « Fumier !...Fumier !...Fumier !... »



A VOS AGENDAS !
Lundi 31 mars : conférence de Philippe Olivera sur la guerre14-18».
L’heure et le lieu seront communiqués ultérieurement





Plus jamais seul, par Doriane Spiteri
COMMUNIQUE … Rennes le 30 janvier 2014


« A chaque palier, sur une affiche collée au mur, face à la cage de l'ascenseur, l'énorme visage vous fixait du regard. C'était un de ces portraits arrangés de telle sorte que les yeux semblent suivre celui qui passe. Une légende sous le portrait disait : BIG BROTHER VOUS REGARDE. […] On devait vivre, on vivait, car l'habitude devient instinct, en admettant que tout son émis était entendu et que, sauf dans l'obscurité, tout mouvement était perçu. »
George Orwell, 1984 (1949), Paris, Gallimard, « Folio », 1972.




Le 12 février 2014, la ville de Rennes inaugurera trois caméras place de la République. Une nouvelle étape aura lieu au prochain conseil municipal avec le vote pour des caméras au centre commercial Italie au Blosne. Actuellement 28 caméras sont installées dans la ville, sans compter les installations privées et particulièrement celles du STAR, comptant plus de 1600 caméras dans les bus, métros et stations.Peu avant l'installation des caméras de vidéosurveillance place de la République, Hubert Chardonnet, adjoint à la sécurité de la ville de Rennes avoue : « Depuis l'installation des caméras place Saint- Anne, on sait qu'une grande partie du trafic s'est déporté sur République. »
L'arrivée des caméras aurait donc déplacé les problèmes, ce qui prouve une nouvelle fois leur inefficacité. Il convient alors de s'interroger sur la mise en place des caméras à République qui pourrait déplacer le trafic vers la gare.

Selon un sondage réalisé en 200812, 71% des Français seraient favorables à la vidéo-surveillance. Ces « auto-surveillés volontaires » considèrent qu'ils n'ont rien à craindre dès lors qu'ils n'ont rien à se reprocher. Persuadés de l'efficacité et de la neutralité du procédé, ils réfutent ses potentialités liberticides.
La formule « pour raisons de sécurité » fonctionne comme un argument d'autorité
permettant d'imposer des perspectives et des mesures inacceptables. Ce concept est inscrit dans le paradigme de l'état d'exception. Les procédures d'exception visent une menace immédiate et réelle qu'il faut éliminer en suspendant pour un temps limité les garanties de la loi. Selon Giorgio Agamben13 dans son article intitulé Comment l'obsession sécuritaire fait muter la démocratie, aujourd'hui les « raisons de sécurité » constituent au
contraire une technique de gouvernance normale et permanente. Ainsi, si l'exemple
anglais devient un modèle, avec des habitants filmés parfois 300 fois par jour, le droit à la vie privée serait nécessairement restreint par cette traçabilité permanente.
Initiée pour lutter contre la délinquance, la vidéosurveillance a été rebaptisée « vidéoprotection » par la LOPPSI 2. A ces objectifs initiaux, cette loi avait ajouté la prévention des atteintes à la sécurité dans les lieux particulièrement exposés à des risques de trafic de stupéfiants et des fraudes douanières, la prévention des risques naturels et technologiques, le secours aux personnes et la défense contre l'incendie.
Si en 2010, la Grande Bretagne a décidé d'enterrer la société de surveillance et qu'à Nice, l'une des villes les plus vidéo surveillées en France, l'inefficacité des caméras a été démontré en 2011, le gouvernement français ne cesse d'en vanter les mérites.
Pourtant, en 2011, le rapport de la cour des comptes14 déplore le fait qu'« aucune étude d'impact, réalisée selon une méthode scientifiquement reconnue, n'a encore été publié ».

« Au cours de la période considérée, le taux d’élucidation des faits de délinquance de proximité n’a pas davantage progressé dans ces CSP (Circonscriptions de Sécurité Publique) équipées de caméras de vidéosurveillance de la voie publique que dans celles qui ne le sont pas. Pour les faits de délinquance pris globalement, il s’est même davantage amélioré dans les CSP non vidéo surveillées. »

Alors que certaines installations auraient bénéficié de subventions importantes (Fonds interministériel de prévention de la délinquance, département, État), le système ne prouve pas son intérêt sur le terrain et les coûts sont démesurés.
Selon ce même rapport, une caméra coûte en moyenne pondérée 36600€ à l’installation et 7400€ à l'année, incluant maintenance technique, entretien, rémunération du personnel.
Souvent en panne et rarement surveillées en temps réel, les caméras de vidéosurveillance sont inutiles pour intervenir en flagrant délit. Elles peuvent toutefois capter tout événement se déroulant sur l'espace public.
Depuis 2006, la consultation policière à des fins de sécurité publique est possible. Les policiers et les gendarmes sont alors destinataires d'images collectées par de multiples caméras. Sous prétexte d'assurer leur mission de sécurité publique, il leur est alors techniquement possible de surveiller, de contrôler et d'accumuler des informations sur des
militants syndicaux et politiques, voire des personnes périodiquement présentes dans des manifestations. Le CNIL (Commission Nationale Informatique et Liberté) demande notamment une traçabilité des accès à ces données sensibles et personnelles, comportant
déplacements, rencontres, participation aux manifestations et toutes habitudes de vie.

Depuis l'édition de ce rapport, la situation n'a pas changé et les caméras continuent d'être installées massivement dans des villes qui se refusent à effectuer des évaluations sérieuses sur le sujet.
L'installation de tels dispositifs est pourtant contraire à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Selon cette dernière, le droit à la sécurité supplante le droit à la sûreté, celui-ci visant à protéger les citoyens contre l'arbitraire étatique et constituant le fondement du régime démocratique. En État de droit, la recherche d'efficacité répressive ne peut alors s'affirmer au détriment de la protection des droits fondamentaux.

La Ligue des droits de l'Homme, section de Rennes dit
NON A LA VIDEOSURVEILLANCE




12 Enquête IPSOS, les français et la vidéosurveillance, CNIL, mars 2008.
13 Giorgio Agamben, « Comment l'obsession sécuritaire fait muter la démocratie », Le monde diplomatique, janvier 2014.
14 Organisation et gestion des forces de sécurité, p. 125 à 145.



A propos de la vidéosurveillance :

· Noé Le Blanc, « La vidéosurveillance se cherche un alibi », Le Monde diplomatique, 23
février 2011.
· Virginie Gautron, « Vidéosurveillance ou vidéoprotection : nos libertés sous contrôle ? », Place Publique Rennes, 2011.
· Jean-Marc Manach, « Vidéosurveillance : ce que révèle la cour des comptes », OWNI, 14 juillet 2011.
· Jean-Marc Manach, « La Grande Bretagne enterre la société de surveillance », Bugbrother, 25 mai 2010.
· Jean-Marc Manach, « Un rapport prouve l'inefficacité de la vidéosurveillance », Bugbrother, 13 novembre 2009.
· Sous surveillance, éditée par la Ligue des droits de l'Homme, EDRI, AEDH, Pangea et luRe, 2010.


6 février : tirer les leçons de l’histoire
COMMUNIQUE LDH Paris, le 3 février 2014



Il y a quatre-vingt ans, le 6 février 1934, plusieurs organisations d’extrême droite et ligues factieuses appelaient à se rassembler devant l’Assemblée nationale avec l’objectif non dissimulé de faire tomber un gouvernement discrédité par une série de scandales et, au-delà, d’en finir avec la République.
Les factieux visaient à imposer les valeurs salvatrices d’un ordre éternel et chrétien, d’une xénophobie solidement antisémite et, par la violence, à renverser une République stigmatisée comme la chose des « rastaquouères » et des juifs, des francs-maçons et des « bolchéviks ». Cette manifestation pesa lourdement sur la vie politique française et constitua un signal d’alarme pour tous les démocrates.
Le rassemblement du Front populaire, organisé dans la foulée autour de défense de la paix, du pain et de la liberté sut mettre un coup d’arrêt à ces prétentions
autoritaires.
Quatre-vingt années et une guerre mondiale plus tard, un rassemblement de réseaux, dont le point commun est la haine de l’égalité républicaine, agite le spectre d’un nouveau 6 février. L’objectif est moins d’affirmer des désaccords politiques avec le gouvernement en place que d’organiser la mise à bas morale du principe d’égalité républicaine.
D’où la multiplication des rumeurs, mensonges, slogans haineux, manifestations de rues et appels à la violence visant l’enseignement de l’égalité entre les sexes à l’école, l’égalité de toutes et tous devant le mariage, l’égalité entre citoyens ; d’où également cette conjonction des intégrismes mêlant antisémitisme et homophobie, dénonciation du « système » et de l’école républicaine. Cette offensive décomplexée d’uneextrême droite radicalisée, s’avère articulée avec les ambitions électorales du Front national, ainsi qu’avec certains courants de l’église catholique et une fraction non négligeable de la « droite républicaine ».
La Ligue des droits de l’Homme appelle à combattre fermement cette stratégie de la peur et cette exaltation de l’ordre moral. Cela exclut toute concession à l’esprit ambiant de xénophobie, et tout esprit de conciliation vis-à-vis des tentations d’exclusion et de restriction des droits. C’est en rassemblant sur des valeurs d’égalité et de fraternité, de respect et de progrès social, que les forces républicaines peuvent relever le défi qui leur est lancé.
C’est en adoptant des politiques de solidarité, en refusant de s’enfermer dans des mesures d’austérité désespérantes et stériles, que la perte de confiance de l’opinion publique dans la politique gouvernementale peut être enrayée, que les bases d’un rassemblement populaire et démocratique peuvent être jetées.
C’est l’un des enjeux des élections municipales à venir. A cet égard, la participation au scrutin constitue un élément d’importance pour ne pas placer la République et la démocratie en état de faiblesse. Sans entrer dans le détail des programmes et listes soumis aux électrices et électeurs, la LDH rappelle que c’est en combinant la défense des
libertés et du progrès social que « l'esprit de 36 » a su rassembler et faire échec aux vents mauvais.
C’est cet esprit que la LDH entend faire vivre dans les débats électoraux à venir en défendant des mesures concrètes pour l’égalité, la fraternité et la solidarité, en rassemblant contre le racisme et l’antisémitisme, contre l’homophobie et toutes les discriminations.
La LDH appelle les citoyennes et citoyens, les démocrates et les républicains, la
société civile et la représentation politique à en débattre ensemble, avant, durant et après la phase électorale qui s’annonce. Face aux menaces et aux discours de haine, elle appelle à se rassembler et à réinventer la promesse d’une République fraternelle et sociale porteuse d’un avenir meilleur pour tous les citoyens.

ACTUALITE
« Jour de colère », nuit pour tous
Analyse par Jean Birnbaum Le Monde des Livres, 1e février 2014


La colère fut le premier mot de l'Europe.
Depuis la colère d'Achille, au premier vers de l'Iliade, jusqu'au« juste courroux» du peuple moderne, en passant par la fureur du Dieu biblique, ce sentiment électrise toute la tradition occidentale. La nuée de mouvements qui ont lancé le «Jour de colère», dimanche 26 janvier, s'inscrit donc dans une longue lignée. Le succès de l'initiative en est un indice :  
17 000 personnes, sous une pluie glaciale, avec la colère pour seul mot d'ordre, ce n'est
pas rien.
Reste que la colère ne fait pas une politique. La colère, c'est l'indignation avec un signe moins, c'est la révolte moins l'espérance. Ces manifestations hétéroclites l'illustrent: sans autre horizon que le refus de tout-en vrac, Hollande, l'avortement, le chômage, le mariage
homosexuel, les homosexuels eux-mêmes, l'école républicaine, les médias, les impôts, les francs-maçons, les juifs, Satan ... -, l'exaspération débouche sur un pur soulèvement de dégoût. Georges Bernanos a tracé sur ce point des lignes décisives. Ecrivain royaliste et catholique intransigeant, il n'en reconnaissait pas moins la portéede1789: si la Révolution française a une valeur universelle, disait-il, c'est parce qu'« elle n'a pas été une
explosion de colère, mais celle d'une immense espérance accumulée ».
Tout autre est la colère noire qui s'exprime aujourd'hui. Fille du désespoir, elle n'ouvre aucun avenir de liberté et ne prétend même pas ressusciter le bon vieux temps.
Ni révolutionnaire ni réactionnaire, elle relève de cette dynamique venimeuse que le philosophe allemand Peter Sloterdijk a analysée dans Colère et temps. (Libella
Maren Sell, 2007). Dans le passé, affirme t- il, la colère a eu ses débouchés spirituels ou politiques, à commencer par l'Eglise catholique et l'Internationale communiste.
Désormais, elle tourne à vide: «Nous sommes entrés dans une ère dépourvue de points de collecte de la colère », note Sloterdijk.
Ainsi, la colère ne trouve plus aucun exutoire universaliste, elle se déploie en une myriade de rages localisées et dispersées, qui ne produisent qu'un ressentiment généralisé, sans raison ni conscience. Voilà un autre point: tout comme elle ne promet rien, la colère ne veut rien savoir. De Pierre Kropotkine à Albert Camus, l'esprit de révolte allait jadis de pair avec la quête de vérité. La fureur nihiliste qui descend maintenant dans la rue est aux antipodes de cela. «Il s'agit d'un extrémisme de la lassitude une hébétude radicale qui se refuse à toute mise en forme ou en culture », ajoute Sloterdijk.
On comprend pourquoi ces « jours de colère » versent si facilement dans un complotisme halluciné. Voyez cette photo d'une manifestante qui brandit fièrement, au milieu de ses amis, une pancarte contre l'Europe « Pédo/Criminelle/ Sioniste/Satanique » (photo prise par notre consoeur du Huffington Post, Lauren Provost). Regardez aussi ces vidéos où
une ancienne figure du mouvement « beur », désormais ralliée aux nouveaux nazis et militante de la Journée de retrait de l'école, affirme que l'éducation nationale enseigne surtout l'homosexualité, ou encore que le rap a été introduit par les étudiants juifs dans les banlieues pour miner leur rébellion ... Ecoutez enfin la formule de Dieudonné, qui résume bien les choses: « la vérité, c'est pour les cons. »


La haine de l'esprit
Certes, tous les activistes de la colère ne poussent pas le délire jusque-là. Mais tous semblent habités par une méfiance instinctive à l'égard de la vérité telle qu'elle s'établit et telle qu'elle se transmet. Dans une formule célèbre, Bernanos disait que « la colère des imbéciles remplit le monde ». Sous sa plume, les imbéciles ne sont pas des ignares ou des idiots, ce sont des êtres ivres de rancoeur, rongés par la haine de l'esprit. « La colère des imbéciles m'a toujours rempli de tristesse, mais aujourd'hui elle m'épouvanterait plutôt, notait-il en 1938. Le monde entier retentit de cette colère. Que voulez-vous?
Ils ne demandaient pas mieux que de ne rien comprendre, et même ils se mettaient
à plusieurs pour ça ... »

Pour le moment, ce compagnonnage avec un sombre nihilisme condamne les collectifs colériques à l'impuissance politique. Mais c'est aussi lui qui les rend si difficiles à combattre pour les partis traditionnels, de droite comme de gauche.
Ainsi que l'affirme le sociologue Fabien Jobard dans un article paru sur Mediapart, cette foule colérique communie dans un « relativisme hyperbolique » qui jette le doute sur le réel tout entier, jusqu'à nier les faits les mieux attestés. Il y a ici un cauchemar pour quiconque demeure attaché à une éthique de la rationalité, qu'elle soit religieuse ou politique. Face au négationnisme sous toutes ses formes, le cardinal André Vingt-Trois comme Jean- Luc Mélenchon se trouvent désarmés.
Toute discussion argumentée devient impossible. « Imagine-t-on un astrophysicien qui dialoguerait avec un "chercheur" qui affirmerait que la Lune est faite en fromage de Roquefort ? », demandait l'historien Pierre Vidal-Naquet dans Les Assassins de la mémoire (La Découverte, 1987). Par-delà les slogans politiques, la galaxie de la «colère»
représente donc un défi lancé aux pratiques d'enseignement et aux institutions démocratiques. Si ce défi n'était pas relevé, alors le « jour de colère » pourrait bien devenir la nuit pour tous.

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Post-it LDH 0.50€
Agenda de la solidarité 2014 10€










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Ainsi que les ouvrages suivants :
L’honneur d’une ville, André Hélard 16€
Le second procès Dreyfus, Victor Basch 18€



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