jeudi 17 septembre 2015

Tribune de Françoise Dumont, présidente de la LDH.

L’État veut couper les vivres à la Fasti

Alors que la France s’est engagée 
à accueillir 24 000 réfugiés
 
Source : L'Humanité, 11 septembre 2015, http://www.humanite.fr/letat-veut-couper-les-vivres-la-fasti-583620
 
L’État dépense des dizaines de millions d’euros pour empêcher les migrant-e-s de poursuivre leur route migratoire, des centaines de millions d’euros pour expulser des étranger-e-s vivant tranquillement en famille, ou encore des réfugié-e-s vers leurs pays en guerre comme le Soudan et l’Afghanistan ; il bloque les réfugié-e-s à la frontière italienne, au mépris des accords de Schengen ; il laisse à la rue des centaines d’enfants étrangers sans famille, et il fait voter des lois de réclusion renforcée des demandeurs d’asile malchanceux.
Derrière cette spectaculaire politique de fermeture, on connaît peu l’entreprise de précarisation grandissante des migrant-e-s par toutes sortes de ruses administratives, et encore moins le travail de fourmi des associations auxquelles l’État délègue la mission d’accueil, d’accompagnement et d’insertion sociale des immigré-e-s. Parmi elles, les 57 Associations 
de solidarité avec tou-tes les immigré-e-s (Asti) et leur fédération, la Fasti, sont ainsi mobilisées pour l’égalité des droits de toutes et tous.
Leurs actions, comme celles d’une large partie du monde associatif, sont financées majoritairement par des fonds publics à différents échelons – collectivités territoriales, ministères, agences régionales de santé (ARS)… – sur la base d’appels à projets, renouvelés année après année. Ces financements sont nécessaires à la Fasti pour assurer les missions que lui ont confiées les Asti, notamment de coordination, de formation et de mutualisation des pratiques locales (accompagnement des personnes primo-arrivantes, accompagnement à la scolarité, formation linguistique, orientation vers les structures de droits communs, etc.)
Aujourd’hui, la Fasti est en danger : une récente décision du ministère de l’Intérieur, par le biais de la direction de l’accueil, de l’accompagnement des étrangers et de la nationalité (Daaen), compromet gravement la survie de ce mouvement pour la solidarité et la défense des droits des migrant-e-s. En effet, la Daaen vient de mettre un terme brutal à la subvention qu’elle accordait à la Fasti depuis plusieurs années, d’un montant de 105 000 euros annuels, une part conséquente d’un budget qui permettait de financer la formation des militant-e-s et bénévoles aux droits des étranger-e-s, aux techniques d’écoute et d’accueil, à la prévention et à la détection des situations de violences faites aux femmes.
Via quelques lignes transmises début août, la Daaen l’a informée ainsi : « Malgré tout l’intérêt porté à votre demande, j’ai néanmoins le regret de vous informer que votre projet n’a pu être retenu, au regard des priorisations que l’administration a dû effectuer dans le cadre d’une enveloppe budgétaire contrainte. » C’est dans cette logique néolibérale et de mise en concurrence des associations qu’on choisit, qu’on trie… Une association de plus qui disparaît au nom de priorités (dont nous ne connaissons pas le contenu), cela devient juste un acte technique.
Usager-e-s, militant-e-s associatif-ve-s, bénévoles, chercheurs-euses, artistes, éditeurs/éditrices, avocat-e-s, médecins… nous avons fait route avec la Fasti et/ou nous soutenons ses actions. Nous nous reconnaissons dans les batailles menées contre les discriminations sexistes, sociales et racistes, des années 1960 jusqu’à aujourd’hui, et dans les actions visant à favoriser l’émancipation de toutes et tous (permanences d’accès aux droits, ateliers sociolinguistiques, accompagnement à la scolarité, repas partagés…).
Nous ne pouvons pas accepter que soit ainsi sacrifiée une fédération d’associations et, avec elle, la vie de 25 000 bénéficiaires, l’engagement de 2 000 bénévoles et d’une dizaine de salarié-e-s. Sacrifier la Fasti sous couvert d’économies, c’est faire disparaître une association sérieuse, engagée, militante, qui participe, au quotidien, à faire vivre la solidarité et les engagements contenus dans la déclaration internationale des droits de l’homme, le préambule de la Constitution française et toutes les conventions en matière de respect des droits humains signés par la France. C’est faire le choix d’asphyxier un contre-pouvoir pourtant nécessaire à la vie démocratique.
Cela, alors même que le contexte national et international exigerait un renforcement de son action. 
Le nombre de personnes mourant sur les routes migratoires n’a en effet jamais été aussi élevé ; les actes racistes se multiplient et les discours publics ouvertement xénophobes se banalisent ; les lois sont de plus en plus répressives, liberticides 
et suspicieuses à l’égard des migrant-e-s et de leurs soutiens, quand elles ne contribuent pas à les criminaliser.
Détruire une organisation comme la Fasti, c’est affirmer l’abandon d’une politique migratoire respectueuse des droits humains, c’est affirmer l’abandon pur et simple du principe de solidarité.
Pour une véritable égalité des droits, la Fasti doit vivre !


Ce texte a été signé par : Jérôme Ruillier, scénariste et dessinateur de bandes dessinées
; Christophe Dabitch, auteur de bandes dessinées et écrivain ; Benjamin Flao,
scénariste et dessinateur de bandes dessinées ; Lionel Brouck, dessinateur de bandes
dessinées ; Grégory Lassalle, documentariste ; Romain Goupil, cinéaste ; Laurent
Cantet, cinéaste ; Christophe Ruggia, cinéaste ; Brigitte Roüan, cinéaste et comédienne ;
Pedro Vianna, rédacteur en chef de la revue Migrations-Société, éditions L’Agrume ;
Julien Salingue, docteur en science politique ; Éric Fassin, sociologue à l’université Paris-
VIII ; François Brun, sociologue ; Pierre Barron, sociologue ; Nicolas Jounin, sociologue ;
Olivier Le Cour Grandmaison, politologue ; Françoise Lorcerie, directrice de recherche
au CNRS ; Emmanuel Terray, anthropologue ; Marguerite Rollinde, sociologue ; Claude
Calame, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales ; Françoise
Martres, présidente du Syndicat de la magistrature ; Patrick Picard, syndicaliste CGT ;
Christine Kermoal, syndicaliste CGT ; Birgit Hilpert, syndicaliste CGT ; Marc Norguez,
syndicaliste CGT ; Éric Beynel, secrétariat national de l’Union syndicale Solidaires ; Cécile
Gondard-Lalanne, secrétariat national de l’Union syndicale Solidaires ; Sébastien
Peigney, secrétariat national de l’Union syndicale Solidaires ; Gus Massiah, ancien
président du Crid ; Abdallah Zniber, ancien président du réseau IDD ; Mouhieddine
Cherbib, ancien président de la FTCR ; Jean Rousseau, président d’Emmaüs International ;
Sissoko Anzoumane, porte-parole de la CSP 75 (coordination des sans-papiers du 75)
et de la CISPM (Coalition internationale des sans-papiers et migrants) ; Françoise Dumont,
présidente de la LDH ; Patrick Farbiaz, représentant de Sortir du colonialisme ;
la Cimade ; le Mrap ; le Comede, le Gisti.