mardi 31 janvier 2017

Fusillés pour l'exemple : commémoration du 11 Novembre 2016




« C’est à Craonne, sur le plateau Qu’on doit laisser sa peau Car nous sommes tous condamnés Nous sommes les sacrifiés »
Tout le monde connait la chanson célèbre qui parle du sacrifice en 17 de centaines de milliers de jeunes gens. La bataille de la Somme qui a fait 500.000 morts, dont 20.000 Anglais en un jour, sans résultat militaire notable, est bien connue.
Aussi, quand le 1er juillet 2016, un Secrétaire d’Etat aux anciens combattants honore de sa présence (c’est la formule rituelle) une cérémonie commémorant la bataille de la Somme, une chorale locale prévoit de chanter Roses of Picardy en hommage aux soldats anglais, et la chanson de Craonne.
Problème : la chanson interdite en 1917 reste bannie jusqu’en 1974. C’est aussi l’époque où pour voir les Sentiers de la gloire, l’œuvre de Kubrick en grande partie inspirée par l’exécution des caporaux de Souain et interdite en France, il fallait aller en Belgique. Du temps a passé́ depuis : nous sommes pratiquement à un siècle de la bataille de la Somme. Mais le directeur de la chorale reçoit la veille un mail des services du Secrétariat d’Etat annonçant que la chanson a été́ retirée du programme. Question de « timing ». La cérémonie est déjà̀ trop longue et l’emploi du temps ministériel ne le permet pas. Pourtant le directeur de la chorale avait prévu de ne faire chanter que le premier couplet et le refrain pour que le tout n’excède pas les deux minutes. En vain.

Problème d’emploi du temps ? Censure ? Pourtant on se souvient des déclarations de L.. Jospin à Craonne, en 1998, souhaitant que « les fusillés pour l’exemple, au nom d’une discipline dont la rigueur n’avait d’égal que la dureté́ des combats, réintègrent aujourd’hui pleinement notre mémoire collective nationale ». Ce discours marquait le dé- but d’une compréhension des motifs des mutine- ries, par rapport au contexte de la désastreuse offensive Nivelle, nulle sur le plan stratégique et dévoreuse de jeunes vies.
Faut-il penser, au travers de l’incident du 1er juillet, qu’on en est là aujourd’hui alors même que les études historiques ont modifié́ notre vision de la guerre 14-18. Depuis longtemps, il allait presque de soi que les Poilus, dressés en quelque sorte par le climat revanchard qui voulait effacer la honte de la défaite de 70, avaient accepté́ sans contester le sacrifice de leurs vies. Mais il est question aujourd’hui de repenser le refus de guerre qui pose à nouveau dans une lumière nouvelle les cas de la répression par la justice militaire, et donc le sort des fusillés pour l’exemple.
Dans le climat politique actuel où il est sans cesse question de la légitimité́ d’un roman national qui aurait force de loi dans les programmes scolaires, on s’éloigne de la proposition de loi du 10 octobre 2012 qui prévoyait, l’article unique : « les fusillés pour l’exemple de la première guerre mondiale font l’objet d’une réhabilitation générale et collective, et, en conséquence, la Nation exprime officielle- ment sa demande de pardon à leurs familles et à la population du pays tout entier. Leurs noms sont portés sur les monuments aux morts de la guerre 14-18, et la mention Mort pour la France leur est accordée ».
Quoi qu’il en soit, l’attitude du Secrétaire d’Etat, les références continuelles au roman national qui bannirait les approches mémorielles susceptibles de déconstruire un récit unitaire passant sous silence les mutins de 17, Vichy, la guerre d’Algérie, les massacres coloniaux…tout cela laisse à penser que les fusillés pour l’exemple - c’est une litote - ne sont pas une préoccupation majeure au plan gouvernemental.
Rien n’a évolué́ depuis les conclusions de la com- mission Prost. Rappelons qu’elle évacuait une réhabilitation en bloc, au prétexte que parmi les condamnés à mort il y avait 50 droits communs et 50 espions, tout au moins selon les critères de la justice militaire. Autre mesure évacuée : le jugement au cas par cas qui permet non une amnistie, mais une pleine réhabilitation, ce qui fut le cas pour les caporaux de Souain. La commission estimait ce travail considérable et pratiquement impossible à mener. Dernière hypothèse : une déclaration solennelle affirmant que « ces soldats sont, eux aussi, d’une certaine manière, morts pour la France ». Ce qui permet d’éviter de dire qu’ils sont morts PAR la France. Une fois encore, comme dans l’affaire Dreyfus, la hiérarchie militaire se voit exonérée de toute responsabilité́.
Que reste-t-il pour que le dossier ne se referme pas ? L’action des associations. De longues luttes sont encore devant nous.



Yves Treguer, au nom de la Ligue des droits de l’Homme (LDH).